en librairie le 3 mai 2024
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« Haschich, jeu, prostitution : au-delà des « expérimentations » dans un appartement berlinois ou sur la Canebière, à une table de roulette, sur le pavé de Marseille, Moscou, Naples ou Paris, Walter Benjamin s’avance au plus loin de ce qu’il pense sous les questions du temps, de l’espace, de l’histoire et de la mémoire. C’est dans cette endurance de la pensée, qui court toujours le risque de l’échec, du « manqué », des « défaites à grande échelle » que ne compensent pas les « victoires de détail », que se rencontre le philosophe. »
Á la fin des années 1920, Walter Benjamin a déjà écrit sur Berlin, Weimar, Paris, Moscou, Naples. Mais dans sa correspondance, il confie à plusieurs reprises la difficulté particulière qu’il éprouve à écrire sur Marseille, et sa fierté à y être parvenu : « j’ai lutté là comme avec aucune autre ville ». Jérôme Delclos part de cet aveu discret, mais suffisamment insistant pour le prendre au sérieux en le confrontant à l’ensemble des textes du philosophe et écrivain allemand sur cette « ville qui doit avoir des poils sur les dents ». Le corpus « marseillais », se révèle être un sésame ouvrant sur le labyrinthe que constitue l’œuvre acentrée du penseur. Un livre sur Marseille ? Pourquoi pas, mais à travers les fines lunettes benjaminiennes, c’est Marseille qui se défend et qui mord quand le Berlinois tente « d’en arracher une phrase ».
Nouvelliste et romancier, critique littéraire au Matricule des anges, Jérôme Delclos a vécu et travaillé six années à Marseille, dans le premier arrondissement à deux pas du haut de la Canebière. C’est durant cette période, de 2006 à 2012, qu’il a beaucoup lu, relu et ruminé Walter Benjamin pour décoder le rébus que constituent ses textes « marseillais ».
Préfacé par Florent Perrier dont les recherches sur l’utopie et Walter Benjamin font référence, le livre est mis en image par le dessinateur marseillais Thomas Azuélos.
BON DE COMMANDE
Quiero éditions c/o Marginales, Les Billardes, 04300 Forcalquier.
Chèque à l’ordre de « Marginales - propos périphériques ».
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DOSSIER DE PRESSE
Walter Benjamin et le rébus de Marseille
Walter Benjamin et le rébus de Marseille
Une fois n’est pas coutume, je commencerai par dire quelques mots de la maison d’édition. Non pas seulement parce que Samuel Autexier, son créateur et sa cheville ouvrière (au sens propre comme au figuré : Sam s’est initié dès longtemps à l’art délicat de la typographie, qu’il maîtrise assez pour donner de superbes couvertures – et parfois même de superbes intérieurs – « au plomb » à ses livres), parce que Sam, donc, m’honore de son amitié, mais aussi et surtout parce qu’il mène sa barque en toute indépendance, loin des courants dominants de l’époque.
« Quiero, qu’il faut entendre comme “j’aime”, mais aussi comme, lorsque l’on joue aux cartes, “je prends” », se veut « affirmation d’une aventure » politique et artistique « qui place le sentiment amoureux au centre de son cheminement », écrit-il en présentation de son catalogue. Voici qui n’est pas pour nous déplaire. Cette petite maison d’édition a déjà publié André Breton, Simone Debout, Stig Dagerman, Charles Fourier, Jean Giono, Marcel Martinet et Harry Martinson, pour ne citer que les plus connus (ce que n’aimera certainement pas Sam, qui choie tout autant ses auteurs et autrices moins exposés à la lumière et qui est tout sauf un bon commercial). Bref, je vous laisse consulter son site internet, qui vous dira le reste.
Jérôme Delclos est philosophe, écrivain, traducteur. De lui, je connaissais déjà Coutures du silence, un recueil de nouvelles « américaines » paru en 2000 chez HB éditions, maison malheureusement aujourd’hui disparue. Il avait aussi publié chez le même éditeur un livre bientôt devenu culte, la traduction (de l’anglais états-unien) de L’Hospitalité des voleurs, du mystérieux Truxton Orcutt 1. On trouve encore des exemplaires d’occasion de ces deux livres sur le net. Je ne peux que vous les recommander. Jérôme Delclos a depuis publié plusieurs autres ouvrages, toujours disponibles et dont on trouvera la liste sur le site de Quiero. Il donne également des chroniques de critique littéraire au Matricule des Anges, revue plutôt appréciée, autant que je sache, par les amateurs/trices de littérature. Il a travaillé et vécu à Marseille durant quelques années, et c’est à ce moment-là qu’il a travaillé à cet essai sur Benjamin.
Dans sa préface que nous publions ci-après, Florent Perrier, bon connaisseur de Benjamin, rapporte ces paroles de l’auteur du Livre des passages qui écrivit au moins trois textes sur Marseille, dont le plus célèbre est probablement « Haschich à Marseille » : « J’ai lutté là comme avec aucune autre ville. Il est plus dur […] d’en arracher une phrase que de tirer de Rome un livre » (lettre à Hugo von Hofmannsthal). Je me demande si l’on ne pourrait pas en dire autant de Jérôme Delclos, mais pas à propos de Marseille, non, à propos du corpus de Benjamin sur Marseille, avec lequel il me semble avoir lutté comme avec aucun autre texte… Quoi qu’il en soit, le résultat est vraiment très intéressant. Si vous vous intéressez à Marseille, ou à Benjamin, ou aux deux, alors procurez-vous ce livre. Vous y découvrirez aussi « Bouche d’ombre et peau de bête », la préface sus citée, érudite et très utile pour aborder le texte de Delclos, et encore les très belles illustrations (sur la couverture et à l’intérieur) de Thomas Azuélos, le tout façonné en un très bel objet. Le livre paraîtra en mai.
franz himmelbauer, pour Antiopées, le 29 mars 2024.
1. Je vous recommande la belle (et désopilante, ce qui ne gâte rien) recension qu’en donna en 2008 l’amie Nathalie Quintane sur Sitaudis – recension que je ne découvre qu’aujourd’hui en rédigeant ces lignes, honte sur moi ! Oui, en fait, je ne vous l’ai pas dit, mais l’éditeur de HB éditions, à ce moment-là, c’était moi, et je suis encore très fier d’avoir publié ce livre.
Pour lire la préface de Florent Perrier, c’est ici…
À lire en ligne sur le blog Antiopées où se nourrit régulièrement le site de lundi matin.
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Bonus Marseille
Quelques années plus tôt, Walter Benjamin, intellectuel allemand se rend à Marseille et prend du haschich pour trouver la poésie. Il se promène entre autres dans les quartiers du Port qui ont disparu. Il y écrit quatre courts textes entre 1928 et 1932. Les éditions Quiero, maison d’édition locale puisque du 17e arrondissement de Marseille, la dissidente Forcalquier, éditent le travail de Jérome Delclos, autour de ses textes. On y trouve une fresque de Thomas Azuelos, dessinateur plainard, qui traitait déjà du personnage dans sa bd Toute la beauté du monde, récompensée à Brest. W. Benjamin n’a pas compris la ville. Il a lutté à Marseille, la ville phoque, « une ville qui a du poil sur les dents ». Tu nous prends pour des mal lavés, Walter ? Trêve de galéjades. Jérôme Delclos lui tente de déchiffrer le rébus de Benjamin. Avec ou sans haschisch ?
Christophe Goby
Nota : bonus à un article sur la pièce Les Rafles, d’un siècle à l’autre de la compagnie Manifeste Rien paru sur le blog de Marsactu.
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Trois questions à… Jérôme Delclos
« Auteur de nouvelles, de romans décalés, d’essais philosophiques qui le sont tout autant, il est depuis cinq ans membre de la rédaction de la revue mensuelle de littérature Le Matricule des anges, pour les rubriques Littérature française, Littérature étrangère, Essais et Histoire littéraire. De façon générale, il se définit volontiers comme un lecteur de Curiosités. Il en écrit aussi. »
À lire sur le site de l’Agence régionale du livre…
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Le feuilleton de Tiphaine Samoyault - 10 mai 2024
Le flâneur de Marseille
Notre feuilletoniste a lu ce bel essai, qui cherche à comprendre pourquoi la cité phocéenne a résisté au sociologue, à partir de ses quatre textes sur cette ville.
« J’ai lutté là comme avec aucune autre ville », écrit Walter Benjamin à Hugo von Hofmannsthal en juin 1929 à propos de Marseille, où il fait plusieurs séjours. La lutte prend la forme d’un corps-à-corps terrible avec une bête marine à fourrure, comme il l’écrit dans l’un des textes consacrés à la ville : « Marseille. Jaune denture de phoque grande ouverte, et l’eau de mer qui dégorge de sa gueule… » Il ajoute même dans une lettre à Alfred Cohn : « Je ne sais si le pelage tacheté de la bête féroce porte encore les traces de notre combat acharné, mais pour ma part, les poils de l’animal me sont restés coincés entre les dents. »
Qu’est-ce qui rend Marseille si pugnace, si difficile à saisir ? Le livre de Jérôme Delclos cherche à résoudre cette énigme en lisant de très près les quatre textes que Walter Benjamin (1892-1940) a écrits sur la ville entre 1928 et 1932 : un article, « Marseille », publié dans une revue suisse ; une nouvelle intitulée « Myslowitz-Braunschweig-Marseille » ; « Haschich à Marseille », qui paraît en 1935 dans Les Cahiers du Sud ; auxquels il faut ajouter un texte publié à titre posthume, 29 septembre [1928] Samedi. Marseille. Alors que Benjamin a déjà écrit sur beaucoup d’autres villes, Moscou, Paris, Weimar ou San Gimignano, celle-ci lui résiste. D’un texte à l’autre, il fait du copier-coller, il s’autocite, il réécrit par-dessus ses propres textes et aussi ceux des autres ; il revient sur ses pas, et les bruits de Naples deviennent ceux du Vieux-Port.
Suite de l’article de Tiphaine Samoyault à lire sur le site du Monde…
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Phoque, Marseille
Dans Walter Benjamin et le rébus de Marseille, Jérôme Delclos et Thomas Azuélos cartographient la rencontre entre le philosophe et la cité phocéenne à la fin des années 1920. Une ivresse et un rébus désormais décodés ?
« Cette ville a du poil aux dents… En tirer une phrase est plus difficile que d’écrire tout un livre sur Rome… Gueule de phoque qui avale des prolos jetés en pâture à heure fixe par les compagnies maritimes… » Walter Benjamin et le rébus de Marseille [1] sert aux lecteurs et lectrices aventureuses des punchlines bien senties. Et beaucoup plus que ça.
Walter Benjamin, philosophe juif allemand mort en 1940, alors qu’il fuyait le nazisme, pratiqua la dérive urbaine que théoriseront plus tard les situationnistes. Après Berlin, Paris ou Naples, il tenta de déchiffrer l’énigme de Marseille en se perdant dans ses rues. « Mais de quoi ont-ils eu si peur ? », s’interrogeaient déjà Christine Breton et Sylvain Maestraggi à propos des errances de Benjamin et de ses amis Ernst Bloch et Siegfried Kracauer, lorsqu’ils découvrent la ville en 1926 [2]. L’ouvrage présent poursuit leur quête, sur la piste du flâneur saisi par l’inquiétante « modernité » qui vient de raser le quartier de derrière la bourse. Benjamin ne le sait pas, mais cet hygiénisme belliqueux faisant table rase des vieux quartiers annonce les rafles et le dynamitage barbares du quartier Sant-Joan par la Wehrmacht et la police de Vichy en février 1943. Les mots de Delclos tâtonnent presque autant que l’homme intuitif et fragile dont il dresse le portrait, et les dessins d’Azuélos font bien plus que les illustrer. Ensemble, ils rendent hommage à celui qui se risque, ivre de haschich et de craintes bravées, dans les bas quartiers où la poésie crue des ruelles embarque la littérature et les idées d’émancipation dans une même galère.
Benjamin démarrait toujours l’exploration d’une ville par sa périphérie. Sa métaphore du phoque, peut-être lui est-elle venue en parcourant, près de la Timone, la traverse du Cheval marin jusqu’à la taverne éponyme dont l’enseigne métallique représentait une otarie… En tout cas, Benjamin va à l’os, au cœur, au ventre de la vieille cité – à l’opposé d’un Marcel Pagnol qui, à la même époque et sur le quai d’en face, met en boîte un folklore destiné à amuser les galeries de la capitale.
Si par moment l’exposé de Delclos se fait réitératif, on tire son chapeau aux auteurs tout comme les prostituées chapardaient leur couvre-chef aux bourgeois égarés dans le quartier rouge [3]. Il donne envie d’aller à la source des textes éparpillés de Benjamin, certains retrouvés dans une valise après son suicide sur la route de l’exil. Les rares passages à vide jouent leur rôle : celui de passage, justement, vers l’œuvre d’un visionnaire parlant au présent. Tel ce conseil posthume : plutôt que caresser le poil trop luisant de l’histoire officielle, tirons de l’oubli celle des vaincus pour rouvrir des pistes trop vite abandonnées.
Bruno Le Dantec
CQFD n°232 - juillet-août 2024
(Article en lecture sur le site de CQFD)
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Walter Benjamin et le rébus de Marseille
Entre 1928 et 1932, Walter Benjamin consacre quatre textes à Marseille. Dans ce bel ouvrage, l’hypothèse de Jérôme Delclos consiste à envisager ce corpus comme un palimpseste. Benjamin ne mentionne-t-il pas à Hugo von Hofmannsthal en juin 1929 combien il lui en a coûté d’écrire sur Marseille ? D’un tel paysage urbain, il serait même plus complexe « d’en arracher une phrase que de tirer de Rome un livre ». Pourquoi pareille résistance devant le spectacle de cette ville dans laquelle il séjournera une dernière fois avent de tenter une traversée désespérée de la frontière espagnole pour finalement se suicider le 26 septembre 1940 ?
Disons qu’à l’instar du Passagenwerk consacré à Paris, Marseille en tant que sujet occupe une place singulière dans l’existence du philosophe. Elle est le théâtre ou sa pensée ultralucide se saisit du désastre de son temps, tout en cherchant - par-delà le pessimisme - à sauver certains détails d’un monde en passe de disparaître. Comme le souligne Florent Perrier dans son essai liminaire, il faut prêter attention au rôle que Benjamin accorde à l’expérience surréaliste de la rue telle qu’elle se lit dans Nadja de Breton. L’auteur de Sens unique visait, comme il l’explique à Gershom Scholem, à élever le surréalisme au rang philosophique, ce qui impliquait son « dépassement ».
Marseille : ses faubourgs, son quartier de prostituées, son passage de Lorette, sa cathédrale sorte d’immense gare de l’au-delà, son port, les peintures de Monticelli baignées par une lumière mélancolique, toutes ces « illuminations profanes » composent un vaste collage. Voilà ce qu’il s’agit de sauver par l’écriture au risque d’expériences périlleuses comme celle du haschich, qu’il mène pour la première fois en solitaire dans cette cité phocéenne pareille à une « jaune denture de phoque grande ouverte ».
Jérôme Duwa
Artpress n°524 - septembre 2024
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Walter Benjamin et le rébus de Marseille
Walter Benjamin a séjourné à plusieurs reprises à Marseille, la dernière fois en 1940, peu de temps avant son suicide. Et s’il a peu écrit sur Marseille, ces quelques pages lui sont chères, parce qu’il a « lutté là comme avec aucune autre ville. Il est plus dur d’en arracher une phrase que de tirer de Rome un livre. » D’où le choix qu’a fait Jérôme Delclos, de les interroger, non seulement pour en cerner la difficulté, mais aussi et surtout pour y faire apparaître un laboratoire, un « micro-chantier » de toute son entreprise philosophique et en particulier de l’inachevé et monumental Paris, capitale du dix-neuvième siècle.
Les textes sur Marseille sont au nombre de quatre, deux articles, une nouvelle, et un protocole d’expérience avec le haschich, ce dernier posthume. Delclos parle à juste titre de palimpseste : les textes se répondent, se reprennent, intégrant en sous-main certaines lectures cryptées comme la très belle citation du Marseille d’Edmond Jaloux, sur la mélancolie cachée d’une ville d’apparence joviale. Les quatre évoquent le haschich, mais, dans la nouvelle, les motifs liés à la drogue (hallucinations, distorsion du sens du temps ou de l’espace) sont sertis dans un récit donné comme fictionnel, et attribué à un narrateur qui n’est pas l’auteur, le peintre Edouard Scherlinger. « Prudence d’époque » : il n’était pas avisé de se déclarer consommateur de substances illicites, ce qui aujourd’hui rend les mêmes textes anodins, voire illisibles. Mais Benjamin est à la recherche d’une « illumination profane » à laquelle la drogue permettrait d’accéder. Le haschich « est au service de tout ce qui a eu lieu autrefois », il ouvre à un « colportage de l’espace » qui permet de percevoir simultanément « toutes les choses qui, d’aventure, se sont potentiellement produites dans cet espace. » Notion importante, qui reviendra dans les Thèses de 1940, mais transformée : pour connaître le passé, il ne faut surtout pas faire abstraction de tout ce qui s’est passé entre lui et notre présent, mais en questionner l’épaisseur, en sachant que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et qu’il s’agit donc de la « brosser à rebrousse-poil ».
Peut-on au passage attribuer au haschich les erreurs topographiques (alors que Benjamin ne se séparait jamais de son Baedeker) que l’auteur signale avec humour : « Qui connaît Marseille s’étonnera sans doute de voir Edouard Scherlinger […] passer sans transition du cours Puget au Passage de Lorette au milieu de la rue de la République » ? Mais plus profondément, ces erreurs sont peut-être un indice. Car Marseille est un labyrinthe, figure qui hante les premières pages d’Enfance berlinoise et qui trouve peut-être son achèvement paradoxal dans Le Livre des Passages. Un labyrinthe dépourvu d’Ariane, peuplé de figures sombres ou pathétiques, dont certaines font l’objet d’un agrandissement comme le pauvre diable qui en est réduit à vendre ses livres, quand d’autres sont massifiées dans un collectif, prolétaires des docks ou prostituées. Cette récurrence du labyrinthe dans l’œuvre n’est qu’un exemple : à tout moment du parcours, Jérôme Delclos suggère des pistes de réflexion ou des références vers l’amont et l’aval de l’œuvre, donnant à ces quelques pages sur « Marseille » une perspective d’ampleur.
Et sa propre lecture offre des bonheurs d’écriture, notamment dans le titrage pittoresque des chapitres, citons seulement celui-ci : « Les pavés de la place de la Bourse, ou Proust à Marseille », où Jérôme Delclos, superposant le passage célèbre du Temps retrouvé avec ses pavés inégaux et la contemplation par Benjamin du pavé de la place de la Bourse, met en évidence à la fois l’écho d’un texte à l’autre (on se rappelle que Benjamin a traduit Proust) et la différence dans la conception de la mémoire et de l’expérience vécue par le sujet. Mais à ce propos, fallait-il faire un sort au témoignage de Werner Kraft qui accuse carrément Benjamin de plagiat, ce qui, si on se réfère à la correspondance des deux auteurs et à leurs écrits respectifs, semble au moins douteux ? Et ne serait-ce pas méconnaître le caractère profondément intertextuel de l’œuvre ?
Jérôme Delclos évoque pour finir les destructions de 1943, que Benjamin n’a pu voir et pour cause, s’il a en revanche observé les destructions des années vingt. Comme dirait Queneau : « Il n’y a que pendant les guerres que s’élucubre/ la démolition des îlots salubres » Salubres, elles ne l’étaient pas, ces rues à bordels et à prolétaires, qui n’avaient pas changé depuis la première visite de Benjamin. Sans s’attarder au pittoresque des clichés, il avait su y voir aussi bien la misère discrète de l’homme qui vend ses livres que la flamboyance des affiches politiques, repérer dans les bibelots pour touristes aussi bien que sous l’image de la femme à vendre la brutalité de la marchandise. Or, Marseille avait-elle changé en trois ans ? Les destructions de 1943 se proposaient de l’« assainir », d’éradiquer ces quartiers de misère où pouvaient aussi se réfugier les opposants. Parler donc des destructions de 1943, c’est évoquer un refoulé de la mémoire marseillaise – qui commence malgré tout à être bien documenté - et c’est aussi le cœur du sujet : c’est le paradigme de l’histoire des vaincus, qu’il faut toujours tenter d’exhumer contre l’idéologie des dominants. Ou, comme l’écrit Benjamin dans Le Surréalisme : « Installer le regard politique à la place du regard historique sur ce qui a été. »
Anne Roche
Note de lecture parue dans la revue Europe n° 1145-1146 - septembre/octobre 2024
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