en librairie le 4 juillet 2023
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Trois typographes en avaient marre est un divertissement typographique édité par GLM en 1935 puis 1967. Guy Lévis Mano qui en fut l’auteur, l’éditeur et l’ouvrier ne voulait pas d’une réédition à l’identique de son livre. L’occasion pour nous d’une nouvelle mise en forme, histoire de dire avec lui que : nous n’en avons pas marre d’en avoir marre ! Cette nouvelle édition au format « poche » est suivie d’une postface de Samuel Autexier qui présente la petite histoire de ce livre.
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Quiero éditions c/o Marginales, Les Billardes, 04300 Forcalquier.
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DOSSIER DE PRESSE
Trois typographe en avaient marre (5e édition)
En lecture ici le début de la petite histoire de ce livre…
Art
Fantaisies typographiques
Art de composer les textes imprimés, la typographie est une discipline réputée austère, héritée d’un monde de plomb aux contours nets, cernés par l’encre noire sur le papier blanc. Une discipline d’éternels ergoteurs : il n’y a qu’à suivre quelques débats de ces messieurs-dames les typographes à propos de césures, d’insécables, de sauts de ligne, de retour au fer, de paragraphe, pour se rendre compte qu’ils ne rigolent pas souvent. Pis encore, leur métier est l’art ultime du camouflage : le travail est d’autant plus réussi qu’il sera invisible. Qu’on se rende compte : ce qu’ils appellent la couleur, c’est la capacité d’un texte typographié avec soin à donner une impression étale et uniforme de grisaille. Et plus c’est gris, et plus l’artisan est talentueux. On l’aura compris, les typographes sont des êtres gris muraille, sans humour et à la fantaisie sans cesse autocensurée. Sauf que de temps en temps, sans doute à la suite d’un excès de contrainte, ils laissent la porte entrouverte à leur imagination, les barrières cèdent, et c’est un feu d’artifice de créativité.
Deux livres viennent de paraître qui sont ainsi des fêtes pour les yeux. Les éditions Quiero ressortent le mythique et peu connu Trois typographes en avaient marre, de Guy Lévis Mano (1), admirablement composé par Philippe Moreau et Samuel Autexier, qui semblent avoir pris un plaisir sans fin à mélanger les fontes, les couleurs, les casses, les corps et les types dans un désordre très réjouissant. En reprenant de façon foutraque le texte poétique d’origine, en se permettant toutes les blagues de typographe, ils respectent à la lettre, pour ainsi dire, les dispositions testamentaires de l’auteur, qui demandait que l’on ne réédite pas ses livres à l’identique. Et de quelle belle façon ils s’y emploient ! Dans un atelier et son imprimerie, trois typographes qui auraient sans doute travaillé trop tard, fumé trop de café et bu trop de cigarettes, passent de l’autre côté du papier-miroir et vivent enfin dans le monde de leurs amis — les caractères. Et cet univers qui à nous, lecteurs, paraît tellement ordonné, est en fait un fourbi insoupçonné d’individus parmi lesquels on trouve de tout : des grands, des petits, des gros, des élancés, des lettres aux courbes avantageuses ou au contraire des lettres aux jambages courts. Le monde même de la poésie, d’une humanité plurielle et indisciplinée, mais qui ploie sous la coupe totalitaire des typographes dont la presse est le terrible instrument de rétorsion.
Pour ne rien gâcher, le livre est composé au plomb, imprimé sur un papier à la texture d’épais buvard, qui porte en lui tous les embossements et traces de son passage sous la presse.
Le second livre est celui de Marc Pantanella (2). Cette fois, le typographe est en vacances, de très longue durée. Poussé en touche par des machines qui nous laissent croire qu’elles sont capables de monter une police pour nous, mieux que ne sauraient le faire les hommes de l’art, l’un d’eux, dissident, puisqu’on n’a plus besoin de ses services, s’occupe à distraire les caractères avec des facéties. Il finit par créer un monde autonome de caractères indescriptibles : le « e » assoupi, l’hypertrophie de la cédille, le « j » pour bègues. Des lettres qui ne servent à rien, comme on dit aujourd’hui, un peu vite ; mais qu’on leur prête attention, et elles nous expliquent en creux comment chacune de leurs ancêtres a été dessinée par les grands typographes, maniant le plein et le délié avec une virtuosité modeste. Et la leçon, comme souvent celle des grands maîtres, est à la fois belle et drôle.
En définitive, les typographes, à force de repli derrière la trame du texte, ont été leurs pires ennemis. Mais, désormais oubliés, désœuvrés dans leurs ateliers aux odeurs de solvants et d’encre, ils peuvent enfin révéler leur véritable nature : des poètes et des artistes merveilleux.
Philippe De Jonckheere
(1) Guy Lévis Mano, Trois typographes en avaient marre, Quiero, Forcalquier, 2011, 40 pages, 25 euros.
(2) Marc Pantanella, Typographie inusuelle d’aucune aide pour les gens qui rédigent & fabriquent des imprimés de toutes sortes, L’Oie de Cravan - Finitude, Montréal - Le Bouscat, 2011, 50 pages, 10 euros.
Vous pouvez lire l’article en ligne sur le site du Monde diplomatique.
Ou retrouver l’auteur de cet article sur son blog Le bloc-note du désordre.
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Poésies fabricatrices
Voici deux ouvrages du poète typographe éditeur Guy Lévis Mano (1904-1980). Ils sont dus au travail éditorial d’art typographique de Samuel Autexier co-fondateur de Marginales et fondateur des éditions Quiero. Conformément à la volonté testamentaire de Guy Lévis Mano, les ouvrages sont réédités non à l’identique, mais typographiquement réinventés. Cette exigence souligne, à elle seule, qu’un livre est l’aboutissement d’un processus de création, qui certes passe par le texte proposé, mais ne voit le jour, donc n’existe, que par le travail paratextuel dont le travail éditorial et de fabrication. En 2011 était paru Trois typographes en avaient marre et que voici réédité en poche en juillet 2023 [1]. En 2022 était paru Il est fou ! mis en images par David Audibert [2]. Nous nous arrêterons, ici, plus spécifiquement, sur le premier ouvrage.
Guy Levis Mano est connu pour ses éditions GLM où publièrent écrivains, artistes et poètes reconnus, au début surtout des surréalistes, mais après la guerre, il s’est ouvert à d’autres formes poétiques en prenant ses distances à l’égard de l’hermétisme. Les éditions GLM ont publié ainsi : Char, Eluard, Breton, Michaux, Jouve, Jabès, Chédid, Du Bouchet, Dupin, Garcia Lorca auquel Levis Mano vouait une grande admiration, Kafka, Miró, Man Ray, Giaccometti, Picasso, Dali … Ouvrier typographe, il était aussi traducteur, imprimeur. Levis Mano, poète, comprend la poésie dans l’intégralité de son processus d’écriture-édition : « La / RÉVOLTE / des caractères / ils sont inconscients / de Notre Poésie / et nous ajoutent / pour fabriquer / la leur ». Guy Levis Mano a créé sa propre typographie. Albert Béguin rappelle que, prisonnier en Allemagne, il signait ses poèmes Jean Garamond [3] ! Dans cette signature, on peut lire l’identification de la création à la fabrication matérielle, c’est-à-dire une non coupure entre l’écriture et son physisme. Bref, cette signature appelle la définition du créateur sur les contrées de l’artisan. Aujourd’hui, si le groupe nominal « artisan d’art » s’est imposé, c’est que le pléonasme qu’il recèle n’est plus senti. Et s’il n’est plus senti, c’est que les deux entités (artiste et fabricateur) sont séparées. Cet effet d’aliénation porte-t-il plus spécifiquement sur l’art ou sur la fabrication ? Le mot artisan se comprend seul, mais il faut ajouter le complément de nom « d’art » pour approcher l’artiste : c’est donc que ce dernier est coupé du monde.
Peu de créateurs, peu de créatrices ont, comme Guy Levis Mano, porté aussi haut l’idée que l’art est d’abord une fabrication. S’il a perdu sa terminaison (-[s]anat) c’est juste parce qu’il s’est professionnalisé en s’abstrayant de la vie commune alors que l’artisanat en est partie prenante. Le livre Trois typographes en avaient marre insiste sur le fondement fabricateur de l’art. Toute fabuloserie emprunte la voie de l’atelier. Derrière la légèreté imprimée par le jeu en liberté des caractères et de la page mise et démise, cette œuvre de 1935 qui raconte « avec vigueur et humour la vie des typographes dans leur atelier vue depuis les caractères… » [4] La question du métier n’est pas une question périphérique au texte, mais une question intérieure à la textualité. Et ceci est notamment vrai en poésie.
C’est donc l’œuvre poétique de l’ouvrier typographe que les éditions Quiero sortent de l’oubli, en s’appuyant sur l’association GLM [5]. Samuel Autexier a su éviter l’excès d’originalité pour, à l’image de Lévis Mano, réaliser une édition équilibrée, une édition d’artisan respectueux de son métier et de ses codes et rejetant dans les salons du monde et du luxe, les Narcisses en quête de brillance et de gloire économique. Samuel Autexier se met au service du texte ; et le texte est d’humour, mêlant l’art des mots et l’art de leur mise en page et du choix des typographies. Mise en abyme du métier de Typographe, il en exalte la maîtrise, l’usage social, la fonction imaginaire. Le texte redouble la matérialité de l’écriture
« Nous larguons
les voiles
au bout des
rouleaux
encreurs &
sentimentaux ».
La poésie, à la différence des autres genres, intègre le jeu des marges, des blancs, la taille des caractères, le choix des minuscules, des majuscules, le réglage des proportions de texte dans la page, pour assurer, comme le peintre dans un tableau, une composition qui le tienne. La typographie, parfois imite le sens du texte, parfois redouble le choix rhétorique, autrefois joue de la surprise pour attirer l’œil du lecteur, mais jamais le travail fabricateur du livre n’excède le texte. Une trop grande magnificence viendrait écraser le texte c’est-à-dire l’éviderait de son sens pour que le l’acte de lecture ne soit plus tourné que sur l’aspect iconique, sur l’esthétique devenue pure de l’image… Alors le bel ouvrage qui donne appui au sens et l’élève en offrande à la lecture ferait place à un produit clinquant zyeutant sur le marché de l’art sa cotation en bourse.
Avec de tels ouvrages, malgré la certitude de la victoire industrielle et boursière sur toutes les activités humaines, un acte de résistance est à l’œuvre. Cet acte a pour fondement la volonté d’immiscer au cœur des rouages taylorisés de l’économie littéraire la résistance du sens, le refus de la réduplication indéfinie comme modalité privilégiée de l’art. Ainsi, dans les marges, à la périphérie des institutions de l’art et de la littérature, se ré-initie – se perpétue serait un mot trop optimiste –, en conscience de sa filiation historique, un espace interpersonnel entre le livre et le lecteur, un espace qui peut devenir lieu commun de volontés affranchies des contraintes normatives contemporaines. Un combat, si on veut, mais à condition de rester lucide. Le typographe ne se paie pas de mots, il suit l’œuvre à la lettre de son métier.
Aussi, tant la réinvention par le typographe Samuel Autexier, de Il est fou que celle de Trois typographes en avaient marre ne peuvent-elles pas se regarder, « se caresser », se lire, comme un pied de nez contre les efforts incessants des sociétés capitalistes à extirper en tout homme tout sens de la réalité ? Elles voudraient bien, ces sociétés, que virtualité et artificialité se substituassent au réel, mais voilà que la réinvention typographique se met au travers de leur rêve pour appeler à la réalisation d’un réalisme nouveau, fabricateur d’un nouveau monde [6].
Philippe Geneste
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Notes