Marcel Martinet
Le Chef contre l’homme
suivi par Le Refus de la hiérarchie de Philippe Geneste
VIENT DE PARAÎTRE
Couverture : impression typographique rouge et noire sur Keaykolour lin avec une gravure de Marc Brunier Mestas. Intérieur : impression numérique sur papier bouffant avec un portrait de Marcel Martinet par Dominique Brochet. Dos-carré-collé.
78 pages, format 16 x 22 cm
ISBN : 2-914363-29-X, 18 euros
– AGENDA
en librairie le 2 février 2023
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Un extrait…
« Aux antipodes du fascisme, la révolution prolétarienne a besoin de faire confiance à l’individu parce qu’elle n’a d’autre but que de développer au maximum, dans le maximum de liberté, le plus grand nombre d’individus possible. Elle n’a de sens que dans la disparition des classes, c’est-à-dire dans la suppression de toute hiérarchie matérielle. Elle est tout entière, au rebours du fascisme, l’ennemie absolue des civilisations hiérarchiques, des civilisations dictatoriales. Si elle ne tend pas continuellement à libérer et à élever l’individu, et si pour cela elle ne commence à le grandir en lui accordant beaucoup et en lui demandant beaucoup, elle se trahit et n’est plus rien. »
Éditer Le Chef contre l’homme de Marcel Martinet – publié en article par la revue Esprit en janvier 1934 – ne vient pas d’un goût du document ni d’un culte pour la dissidence, mais du constat de son actualité. C’est parce qu’il n’est pas un texte circonstanciel face à l’extrême droite que le lire aujourd’hui procède de quelque nécessité car il ne se limite pas à montrer les dangers du national-socialisme et du fascisme. Il demande aux individus un effort de lucidité afin de combattre les mécanismes qui en autorisent l’avènement, à commencer par ceux qui génèrent cette attitude de respect de la hiérarchie ancrée dans les normes mêmes de toute société inégalitaire.
Le Chef contre l’homme invite à mener une réflexion profonde sur les soubassements tant politiques, juridiques, économiques, sociologiques que psychologiques qui permettent à la société capitaliste de s’offrir aux pouvoirs autoritaires, dictatoriaux et fascistes.
Philippe Geneste dans une deuxième partie du livre poursuit aujourd’hui la réflexion de Martinet en faisant l’analyse des mécanismes hiérarchiques et sécuritaires à l’œuvre à l’école et dans le monde social depuis les années 1980, il pose les bases de ce qu’il appelle Le Refus de la hiérarchie. C’est à cet effort de lucidité que répond la parution de ce livre.
Marcel Martinet
Il est des œuvres effacées derrière l’engagement de leur auteur. C’est le cas de celle du poète et écrivain Marcel Martinet (1887-1944) inlassable pourfendeur du stalinisme, du fascisme, de toutes les formes de bureaucraties, et défenseur, en divers domaines (culture & éducation en particulier) de l’autonomie de la classe des exploités. Son œuvre, sciemment ignorée par l’histoire littéraire officielle est régulièrement rééditée (Maspéro, 10/18, Plein Chant, Agone).
BON DE COMMANDE
Quiero éditions c/o Marginales, Les Billardes, 04300 Forcalquier.
Chèque à l’ordre de « Marginales - propos périphériques ».
DOSSIER DE PRESSE
Le Chef contre l’homme
– Présentation par Freddy Gomez du sommaire du numéro 19 de la revue À contretemps - mars 2005
– Chronique de Raymond Jousmet dans L’Emancipation syndicale et pédagogique - n°6 février 2023
– Billet 1 de l’Alamblog par le Préfet maritime - février 2023
– Article de Freddy Gomez, blog de la revue À contretemps - février 2023
– Article de Courant alternatif - mars 2023
– Billet 2 de l’Alamblog par le Préfet maritime - mars 2023

Une culture prolétarienne
pour des temps maudits
Présentation du dossier Marcel Martinet (1887-1944)
Il est des époques où les reniements débordent, où la veulerie progresse, où l’espérance recule. Des temps maudits. Ce fut le cas, en 1914, quand le mouvement ouvrier, contre toute attente, oublia sa raison d’être, accepta le crime et pactisa avec le capital au nom de l’Union sacrée. Sur le cadavre encore chaud de Jaurès et sous les applaudissements de Barrès. En ces temps de défaite, quelques militants syndicalistes révolutionnaires, une toute petite poignée, solitaires, ramèrent contre le courant, s’entêtant, illogiques et courageux, à maintenir le cap.
Marcel Martinet eut cet honneur.
Une récente actualité éditoriale nous offre, et c’est heureux, l’opportunité de nous arrêter un instant sur le parcours, à bien des égards exemplaire, de cet homme qui, contre vents et marées, resta fidèle, malgré l’époque, à une certaine idée de l’internationalisme et de l’autonomie ouvrière incarnés par le syndicalisme révolutionnaire.
Pour composer ce dossier, nous avons choisi de nous adresser à Charles Jacquier, fin connaisseur du sujet, directeur de la collection « Mémoires sociales » aux éditions Agone et responsable, dans la revue du même nom, de la rubrique « Histoire radicale ». Le texte qu’il a bien voulu nous adresser – Marcel Martinet ou l’orgueil de la fidélité – est la version écrite d’une présentation de l’auteur des Temps maudits et de Culture prolétarienne faite, en mai 2004, à la librairie marseillaise L’Odeur du temps, à l’occasion de la réédition, par Agone précisément, de ces deux ouvrages essentiels.
En seconde partie de dossier, on lira une étude de Marcel Martinet Le Chef contre l’homme, nécessité d’un nouvel individualisme, originellement publiée dans le numéro de janvier-février 1934 de la revue Esprit. Il est fort à parier que, par son originalité et sa finesse, cette analyse in vivo de la montée des fascismes, du culte des chefs et de la progressive domestication bureaucratique du mouvement ouvrier, intéressera nos lecteurs. Du moins l’espérons-nous.
Freddy Gomez pour À contretemps, n°19 - mars 2005
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Le Chef contre l’homme
Le texte de Marcel Martinet est court, il tient en 22 pages. Il est percutant, et bien sûr il est daté.
Il a été publié en janvier 1934, un an pile après la nomination d’Hitler comme Chancelier, 12 ans après l’arrivée au pouvoir de Mussolini, tandis que les dictatures d’Horthy et Pilsudski sont à leur apogée et au moment où commencent les "grandes purges" staliniennes. Pour autant il ne s’agit pas pour l’auteur de mettre sur le même plan le stalinisme et les dictatures européennes. Selon lui, tant que l’idéologie bolchevique reste marquée par "un internationalisme absolu", on ne peut "dire que rien ne distingue plus le bolchevisme du fascisme", soulignant ensuite qu’avec le dogme du "socialisme dans un seul pays" cette ligne de démarcation s’efface dangereusement.
Mais Marcel Martinet ne se limite pas à une synthèse de l’analyse des contextes politiques, économiques et sociaux qui ont nourri la montée en puissance des dictatures dans les années de l’entre-deux-guerres. ll pose de manière plus générale, la question du chef de sa relation avec les "masses" du rapport hiérarchique et de ce qui en fait l’essence. Pour mener les combats du prolétariat, ne faut-il pas des chefs ? Peut-être, répond-il, mais quels chefs ? Et il ajoute : "Est-ce impossible que les chefs ne soient que les meilleurs camarades, les plus dévoués et les plus fidèles, les plus désintéressés et les plus braves, les meilleurs techniciens dans leurs techniques, l’émanation directe de la base et constamment et fraternellement contrôlés par la masse ?", pour conclure : "La révolution prolétarienne n’a de sens que dans la disparition des classes, c’est-à-dire dans Ia destruction de toute hiérarchie matérielle".
Ce sont ces questions qui font encore aujourd’hui I’actualité de la pensée de Marcel Martinet et que Philippe Geneste prolonge très judicieusement avec son essai Le refus de la hiérarchie. Illustrant son propos de multiples exemples actuels, il met en évidence les multiples rouages où l’école occupe une place centrale. Rouages parfois insidieux, qui conduisent à I’aliénation, à la soumission, à I’installation et à I’acceptation du rapport hiérarchique. On pourra retenir notamment le paragraphe "Du chef contre l’homme sous les oripeaux de l’émancipation", qui donne à réfléchir sur nos propres pratiques.
Mais Philippe Geneste n’est pas pessimiste : la victoire de I’homme contre Ie chef est possible. Pour cela il faut éradiquer toute forme de naturalisation du lien de subordination, individuellement et collectivement. Cela nécessite entre autres la mise en acte d’une coopération bien comprise, c’est-à-dire reposant sur la mise en place de rapports a-hiérarchiques.
Chronique de Raymond Jousmet parue dans L’Emancipation syndicale et pédagogique n°6 février 2023.
Lire l’article sur le site de L’Emancipation syndicale et pédagogique
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Plus de chef
Avant Martinet (Jean-Pierre), il y avait Martinet (Marcel).
Ils n’ont rien de commun, vraiment.
Poète et écrivain engagé contre toute oppression (stalinisme, fascisme, bureaucratisme, etc.) il a publié une grande variété d’écrits qui reparaissent de temps à autres chez des éditeurs eux-mêmes militants, amateurs de littérature prolétarienne ou syndicale. Pour ne pas les nommer Plein Chant, Agone ou, autrefois, Maspéro).
Dans le Sud, à Forcalquier, ce sont les éditions Quiero qui prennent la relève et rendent à la lecture un article publié dans Esprit en 1934, "Le Chef contre l’homme". Ce projet, nous dit l’éditeur, "ne vient pas d’un goût du document ni d’un culte pour la dissidence, mais du constat de son actualité" et l’on voit bien ce qu’il veut nous dire :
C’est parce qu’il n’est pas un texte circonstanciel face à l’extrême droite que le lire aujourd’hui procède de quelque nécessité car il ne se limite pas à montrer les dangers du national-socialisme et du fascisme. Il demande aux individus un effort de lucidité afin de combattre les mécanismes qui en autorisent l’avènement, à commencer par ceux qui génèrent cette attitude de respect de la hiérarchie ancrée dans les normes mêmes de toute société inégalitaire.
Le Chef contre l’homme invite à mener une réflexion profonde sur les soubassements tant politiques, juridiques, économiques, sociologiques que psychologiques qui permettent à la société capitaliste de s’offrir aux pouvoirs autoritaires, dictatoriaux et fascistes.
L’éditeur scientifique du livre, Philippe Geneste, poursuit aujourd’hui la réflexion de Martinet en faisant l’analyse des mécanismes hiérarchiques et sécuritaires à l’œuvre à l’école et dans le monde social depuis les années 1980, et il pose les bases de ce qu’il appelle "Le Refus de la hiérarchie".
Comme scandaient certains punks : "plus de chef, plus de flic, plus de curée, plus d’armée" (OTH, Hommes des cavernes modernes)...
Lire le billet sur l’Alamblog du Préfet maritime
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Sous une poussée obscure
Originellement publié dans la revue Esprit – n° 16, janvier 1934, pp. 541-558 –, le texte Le Chef contre l’homme fut réédité tel quel dans le n° 19, mars 2005 – pp. 10-18 – d’À contretemps, alors revue papier. Pièce centrale d’un dossier intitulé « Marcel Martinet (1887-1944) : une culture prolétarienne pour des temps maudits », elle était complétée d’une forte étude de Charles Jacquier : « Marcel Martinet ou l’orgueil de la fidélité ».
Pour des raisons étranges, mais qui semblent tenir à des hésitations de l’équipe rédactionnelle d’Esprit, revue fondée en 1934 par Emmanuel Mounier, intellectuel catholique promoteur du personnalisme, la partie du texte de Martinet directement liée à la critique du socialisme français (et plus précisément au glissement de quelques-unes de ses figures, dont Marcel Déat, « vers un fascisme de gauche »), s’est vu amputer du chapitre intitulé « La gangrène fasciste dans le socialisme politique en France ». Elle fut finalement réintégrée dans la livraison suivante d’Esprit – n° 17, février 1934, pp. 888-891 –, ce qui tombait pour le dire vulgairement comme un cheveu sur la soupe. On imagine que les débats furent vifs chez les personnalistes d’esprit de la revue du même nom. La version qu’on peut lire dans cette belle édition établie par les éditions Quiero est complète et authentique.
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Marcel Martinet, écrivain et poète, fut un homme de l’insoumission dont le premier acte de refus consista, en 1911, à s’abstenir de se présenter au concours de l’agrégation pour postuler à un simple poste de rédacteur à la mairie de Paris. Le reste est à l’avenant : entré au Parti socialiste unifié en 1913, il le quitte un an plus tard pour épouser, auprès des syndicalistes révolutionnaires du quai de Jemmapes, la cause de l’autonomie ouvrière pour l’émancipation, à laquelle il ne dérogera jamais. Quand la « Grande Boucherie » d’août 1914 suscite l’« Union sacrée », Martinet, non mobilisable du fait d’une induration des poumons, se déclare pacifiste opposant à la sale guerre. Fidèle à l’internationalisme prolétarien, il écrit pour le dire là où il peut, dans les petits journaux du refus, organes syndicalistes le plus souvent, et dans sa correspondance avec quelques amis – Romain Rolland, notamment, avec qui le désaccord viendra plus tard. En 1917 paraît à Genève Les Temps maudits, « chants d’espoirs désespérés », une suite de poèmes lyriques de douleur et de colère qui connaîtront, grâce à son réseau militant, un beau succès de diffusion clandestine en terre de France et demeure son livre le plus connu [1]. La guerre finie, sa trajectoire est la même que celle de ses camarades syndicalistes révolutionnaires ralliés pour très peu de temps au communisme à la faveur de la révolution russe. Durant trois ans (1921-1923), il s’occupe, avec des hauts et des bas, des pages littéraires de L’Humanité. En 1925, la rupture est consommée. L’autonomie prolétarienne reprend alors ses droits au rang de priorité. Elle s’exprimera, notamment, et avec constance, dans les colonnes de La Révolution prolétarienne qui regroupe un « noyau » – dont Pierre Monatte (1881-1960), Alfred Rosmer (1877-1964), Robert Louzon (1882-1976) seront, entre autres, les inspirateurs – et sera sous-titrée, cinq ans durant, « revue syndicaliste communiste » avant de devenir pour toujours « revue syndicaliste révolutionnaire » [2]. Martinet sera de l’aventure, qu’il voit comme une continuité logique de La Vie ouvrière des années d’avant-guerre.
Pour le reste, l’autonomie est, pour Martinet, autre chose qu’une nécessaire perspective de classe. Fragile, il en fait une manière de vivre obligée pour résister aux morsures de la maladie qui ne le lâchera plus : le diabète. Son front est celui de l’écriture, de l’expression, du combat intellectuel. Pour la « culture prolétarienne », pour le « refus de parvenir », pour arracher Victor Serge aux griffes de l’État stalinien, contre le colonialisme français en Indochine, contre les procès de Moscou, contre le sort réservé aux réfugiés espagnols de la grande défaite de 1939, sa plume est toujours là, disponible, ample, affutée, habile à dénoncer le mauvais sort qui accable les êtres qui résistent aux circonstances de l’oppression, d’où qu’elle vienne.
Mais il y a davantage chez Martinet, une particulière capacité à penser ce qui, de manière intangible et répétée, se joue sous une poussée obscure qui conduit aux temps maudits. Sur ce plan, Le Chef contre l’homme est très révélateur de sa manière, lucide, de chercher à comprendre pourquoi et comment l’Histoire est une machine à recycler l’infamie. Ce dont il est question ici, c’est, au-delà d’un contexte – celui de février 1934 et de la montée en puissance du fascisme à la française – le dispositif de mécanismes qui conduisent, de conjonction en conjoncture, à la massification du ressentiment. Et plus encore à légitimer les ressorts de son expression primaire. Penser cela n’est pas une mince affaire, nous en savons quelque chose, mais le penser sans perdre ses nerfs relève de la performance. Et c’est, pour moi, ce qui fait la force évocatrice de ce texte qui débute par une phrase de Clara Zetkin prononcée en 1923 : « Nous ne devons pas oublier que le fascisme est le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence. » Et Martinet de préciser : « Ces hommes sont des hommes désespérés, descendus au dernier stade du désespoir ; des hommes qui n’ont jamais eu d’idéologie ou qui ont été déçus par les idéologies auxquelles ils se sont arrêtés un instant et qui les ont rejetées ; des hommes qui ont perdu […] toutes raisons de vivre […]. Et cependant ces hommes parce qu’ils sont des hommes, ces hommes vaincus voudraient encore continuer à subsister, à espérer même. »
Tributaire des catégories marxistes de son temps – insuffisamment éclairantes sur le fascisme, on le sait aujourd’hui –, l’analyse de Martinet les restitue mais corrigées de quelques à-peu-près interprétatifs. Ainsi la théorie selon laquelle le fascisme relèverait d’un processus d’unification, sur la base du ressenti de « leur misère, présente ou prochaine », d’une petite bourgeoisie et d’un lumpenprolétariat « momentanément parqués dans le même enclos et collés l’un à l’autre » par « une furieuse joie de vengeance (qui leur paraît la justice même) », s’accompagne, sous sa plume, d’une constante mise en perspective du substrat psychologique – fondamentalement autoritaire – de cette quête mortifère d’un « chef ». Au point qu’on puisse établir des parallèles fascinants entre les intuitions de Martinet et les analyses d’Erich Fromm et du Wilhelm Reich de la Psychologie de masse du fascisme [3], produites à la même époque (années 1930), mais dont on doute que l’auteur du Chef contre l’homme ait eu connaissance.
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On ne saurait dire, comme le prétend Philippe Geneste en seconde partie d’ouvrage – « Le refus de la hiérarchie » –, qu’il existerait « une actualité de ce texte », autrement dit que l’analyse de Marcel Martinet ferait écho, par ricochet, à notre lourd présent. On serait plutôt partisan de le prendre pour ce qu’il est : une fine contribution à la compréhension du sien, ce qui, avouons-le, n’est déjà pas si mal en regard de la pauvreté du nôtre en matière d’analyse critique. Bien sûr, Geneste prend le soin de préciser qu’il ne corrèle pas davantage deux situations socio-historiques aussi différentes que le fascisme « en chemise brune et noire » de l’époque de Martinet et celui « pris dans un sens élargi » qui couverait sous la cendre de nos contemporaines défaites.
Reste que sa contribution laisse apparaître des « indices de fascisation du régime politique » que nous subissons et que les preuves qu’ils nous en donnent – « réduction des libertés », « mesures d’exception pérennisées », « lois répressives accumulées », violences policières massives contre ceux qui s’y opposent – attestent, de facto, d’une incontestable dérive autoritaire du « macronisme », qui demeurera modélique de cette inflexion illibérale institutionnelle du déjà dévastateur en soi néo-libéralisme économique. Autrement dit, cette chiourme du profit pour le profit maximal aura confirmé qu’on n’est jamais Chicago Boy innocemment, ce qu’on savait d’ailleurs depuis Pinochet. Son seul apport à l’histoire réside là, et c’est précisément en cela que le jupitérien projet de la Macronie conduisit à éborgner celles et ceux qui, d’en bas, de très bas, sans autre force que celle que leur donna la coalition de leurs misères colériques, éclairèrent le vrai visage du janusien Jupiter : son mensonge est la vérité même.
Comme l’atteste Geneste, l’obéissance au système est une « prescription » qui finit par devenir « obligation intérieure ». C’est même là sa principale force, pourrait-on ajouter : organiser la soumission par consensus. Ce qui remonte pourtant – et à l’évidence – de nos révoltes contemporaines, qui ne sont plus strictement de classe, c’est le dissensus exprimé par une série de soulèvements fondés sur des résistances têtues et variées à l’ordre mortifère d’un néo-libéralisme autoritaire en crise structurelle prolongée. L’actuel mouvement de refus de la contre-réforme des retraites apparaît ainsi, selon les angles d’observation choisis, révélatrice d’un double mouvement : d’un côté, il est pris en main par une chefferie de bureaucrates aux profils divers, mais unis dans une même stratégie de contrôle ; de l’autre, il rêve, sur ses marges les plus actives, de la destituer par dépassement. « Le chef, note opportunément Geneste, résulte des actions contraintes et du cadre contraignant des actions. Mais, produit d’une mise en relation, il est aussi destituable par une autre forme de mise en relation des êtres sociaux jusque-là soumis. D’où la lutte possible pour s’en libérer, mais possible à condition de ne pas omettre la cible première qui est l’éradication du hiérarchisme : passer du chef contre l’homme à la réalisation de l’homme libéré du chef, libéré des chefs. » Au fond, deux exemples récents illustrent parfaitement cette démarche d’auto-émancipation : d’un côté, l’apparition, puis la structuration des « cortèges de tête » qui, devançant les défilés traîne-savates, leur impriment – avec plus ou moins d’intelligence stratégique, c’est vrai ! – une dynamique de combat ; de l’autre, le soulèvement des Gilets jaunes qui, en remettant l’ardeur au combat au premier plan de leurs subjectivités et en refusant obstinément de se soumettre à tout représentant auto-désigné, ont durablement changé, y compris dans les bases syndicales, la perception tactique de l’affrontement à venir avec l’État et les patrons.
Dans cette configuration où tout laisse à penser que la crise du capitalisme à son stade néo-libéral autoritaire avancé n’est sûrement pas provisoire et qu’elle prendra, comme on le constate déjà, de multiples formes, le « fascisme pris dans un sens élargi » pourrait lui apparaître comme une porte de sortie ouvrant sur le néant, mais lui garantissant ses droits de préemption.
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Ce beau travail d’édition se clôt sur deux poèmes et une minutieuse biographie de Marcel Martinet – élaborée par Philippe Geneste – dont nous retenons cette phrase de l’auteur de L’Homme contre le chef, écrite en 1939 : « Les politiciens putassiers qui font de l’antifascisme à base de mépris de l’homme sont des ombres grotesques des fascistes. Mais contre les uns et contre les autres, il faudra bien qu’on refasse une humanité. »
Nous en sommes toujours là. Et il y a urgence.
Freddy Gomez
Lire l’article sur le blog de la revue À contretemps
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Le chef contre l’homme
Marcel Martinet est un militant révolutionnaire qui refusa l’Union sacrée en 1914. Écrivain et poète d’importance dans le courant dit de « littérature prolétarienne », auteur des Temps maudits, écrit pendant la guerre de 14-18, il fut un soutien enthousiaste de la révolution russe et s’occupa de la section littéraire de L’Humanité avant de rompre, comme ses camarades de La Révolution prolétarienne, avec le parti communiste. Il n’aura de cesse ensuite de dénoncer à la fois le stalinisme et le fascisme : « Les politiciens putassiers qui font de l’antifascisme à base de mépris de l’homme sont des ombres grotesques du fascisme » écrit-il estimant que l’échec de la grève générale de novembre 1938 venait d’ancrer le fascisme au tréfond de la société française.
Et c’est du fascisme dont il est question dans « Le Chef contre l’homme », un essai publié en 1934 dans la revue Esprit [et repris ici en volume].
S’appuyant sur ce que disait Clara Zetkin en 1923, « le fascisme est le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence », il montre que cette doctrine s’appuie sur des hommes qui ont renoncé à se sauver eux-mêmes et se soumettent à un chef qui pense pour eux en se donnant l’illusion qu’à travers lui c’est une parcelle de son pouvoir qu’ils partagent. Notons que c’est à la même époque que Wilhelm Reich dans la psychologie de masse du fascisme montrait que, comme toute forme de mysticisme organisé, il s’agissait-là d’un désir organique insatisfait des masses, Mais Martinet n’en rejette pas pour autant les explications socio-économiques : tandis que le socialisme voit dans l’État un instrument de la domination de classe qui doit perdre ses bases et donc disparaître avec la suppression des classes, le fascisme prétend au contraire étatiser le plus possible les facteurs de la vie sociale, réaliser l’État « total ».
À la suite du Chef contre l’homme, Philippe Geneste actualise le propos de Martinet, dont il est un parfait connaisseur en montrant à quel point les mécanismes hiérarchiques continuent d’entraver les femmes et les hommes. Et que le refus de cette hiérarchie est une arme essentielle pour toute lutte contre le capitalisme et sa variante, Ie fascisme. L’autonomie, toujours l’autonomie, individuelle et collective, est la clé de la lutte contre toute forme de reproduction de la domination.
Marcel Martinet, qui illustre à merveille le « refus de réussir » en refusant de passer l’agrégation pour s’embaucher comme simple rédacteur, a beaucoup écrit : essais, roman, théâtre, poésie.
– Culture prolétarienne Agone, 2004.
– Les Temps maudits, Agone, 2003.
– Où va la révolution russe ? l’affaire Victor Serge, Plein chant, 1978.
– Hommes, Plein chant, 1975.
Philippe Geneste
– Contribution à une critique prolétarienne de l’éducation : Contre l’école du tri social, volume 3, le scorpion brun, 2018.
– Contribution à une critique prolétarienne de l’éducation : Genèse de I’éducation hiérarchique, volume 2, CNEDS université Savoie Mont Blanc, 2017.
– Le travail de l’école : contribution à une critique prolétarienne de l’éducation, volume 1, Acratie 2009.
– Politique, langue et enseignement, Ivan Davy, 1998.
– Visages de la littérature prolétarienne, Acratie, 1992.
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Plus de chef, plus de 49, plus de 3
À l’occasion du 49.3 d’anthologie qui vient de nous être servi par un duo de génies politiques du premier quart du XXIe siècle (Brindezingue et Paltoquet), un petit rappel du texte de Marcel Martinet récemment réédité par Philippe Geneste et Samuel Autexier à l’enseigne de Quiero (livres d’art et d’essai). Avec une citation, ce qui est toujours mieux qu’un long discours :
PRODUCTEURS, SAUVONS-NOUS NOUS-MÊMES
Puissent les prolétaires ne pas seulement répéter ces paroles du bout des lèvres, mais en imprégner toute leur pensée et toute leur action ! C’est la formulation même de l’antifascisme. Le but et la méthode de la révolution prolétarienne ne sont rien et ne peuvent rien s’ils ne sont le respect de l’homme, dont ils réclament qu’il ne se démette jamais de soi, de son vouloir et de ses responsabilités. Le fascisme, qui exige la démission préalable et permanente de l’individu, c’est le mépris de l’homme.
(...) Nous avons vu ce que représente la soumission irraisonnée et aveugle au chef, l’abdication devant le chef. Nous avons vu ce que, dans le fascisme, elle fait de l’homme de la masse, ce qu’elle fait du chef lui-même. Si des hommes adoptent la notion fasciste du chef et la conception de la vie qu’une telle notion comporte, rien à dire contre, sinon que ces hommes nous semblent renoncer à tout ce que nous considérons comme la dignité de l’homme ; mais ils suivent leur logique
Marcel Martinet Le Chef contre l’homme suivi de Le Refus de la hiérarchie par Philippe Geneste. - Forcalquier, Quiero, 2023, 80 pages, 18 €
Lire le billet sur l’Alamblog du Préfet maritime
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[1] Marcel Martinet, Les Temps maudits, Agone, « Marginales », 2003.
[2] Changement d’intitulé opéré dans le n° 95 de la revue (1er janvier 1930) avec cette explication du « noyau » : « Nous ne pouvions à chaque numéro expliquer que notre syndicalisme communiste n’avait rien de commun avec le prétendu syndicalisme des prétendus communistes. Pour les communistes nous sommes des renégats. Pour les non-communistes nous sommes des communistes masqués. En disant que nous sommes des syndicalistes révolutionnaires, nous ne faisons que dire la vérité, et c’en est une autre qu’il ne peut exister de plus véritables révolutionnaires prolétariens, de communistes plus réels que les véritables syndicalistes révolutionnaires. La R. P. portera donc désormais en sous-titre : “Revue bi-mensuelle syndicaliste révolutionnaire”. »
[3] Payot, 1998.