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Un extrait…
« Aux antipodes du fascisme, la révolution prolétarienne a besoin de faire confiance à l’individu parce qu’elle n’a d’autre but que de développer au maximum, dans le maximum de liberté, le plus grand nombre d’individus possible. Elle n’a de sens que dans la disparition des classes, c’est-à-dire dans la suppression de toute hiérarchie matérielle. Elle est tout entière, au rebours du fascisme, l’ennemie absolue des civilisations hiérarchiques, des civilisations dictatoriales. Si elle ne tend pas continuellement à libérer et à élever l’individu, et si pour cela elle ne commence à le grandir en lui accordant beaucoup et en lui demandant beaucoup, elle se trahit et n’est plus rien. »
Éditer Le Chef contre l’homme de Marcel Martinet – publié en article par la revue Esprit en janvier 1934 – ne vient pas d’un goût du document ni d’un culte pour la dissidence, mais du constat de son actualité. C’est parce qu’il n’est pas un texte circonstanciel face à l’extrême droite que le lire aujourd’hui procède de quelque nécessité car il ne se limite pas à montrer les dangers du national-socialisme et du fascisme. Il demande aux individus un effort de lucidité afin de combattre les mécanismes qui en autorisent l’avènement, à commencer par ceux qui génèrent cette attitude de respect de la hiérarchie ancrée dans les normes mêmes de toute société inégalitaire.
Le Chef contre l’homme invite à mener une réflexion profonde sur les soubassements tant politiques, juridiques, économiques, sociologiques que psychologiques qui permettent à la société capitaliste de s’offrir aux pouvoirs autoritaires, dictatoriaux et fascistes.
Philippe Geneste dans une deuxième partie du livre poursuit aujourd’hui la réflexion de Martinet en faisant l’analyse des mécanismes hiérarchiques et sécuritaires à l’œuvre à l’école et dans le monde social depuis les années 1980, il pose les bases de ce qu’il appelle Le Refus de la hiérarchie. C’est à cet effort de lucidité que répond la parution de ce livre.
Marcel Martinet
Il est des œuvres effacées derrière l’engagement de leur auteur. C’est le cas de celle du poète et écrivain Marcel Martinet (1887-1944) inlassable pourfendeur du stalinisme, du fascisme, de toutes les formes de bureaucraties, et défenseur, en divers domaines (culture & éducation en particulier) de l’autonomie de la classe des exploités. Son œuvre, sciemment ignorée par l’histoire littéraire officielle est régulièrement rééditée (Maspéro, 10/18, Plein Chant, Agone).
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DOSSIER DE PRESSE
Le Chef contre l’homme
Une culture prolétarienne
pour des temps maudits
Présentation du dossier Marcel Martinet (1887-1944)
Il est des époques où les reniements débordent, où la veulerie progresse, où l’espérance recule. Des temps maudits. Ce fut le cas, en 1914, quand le mouvement ouvrier, contre toute attente, oublia sa raison d’être, accepta le crime et pactisa avec le capital au nom de l’Union sacrée. Sur le cadavre encore chaud de Jaurès et sous les applaudissements de Barrès. En ces temps de défaite, quelques militants syndicalistes révolutionnaires, une toute petite poignée, solitaires, ramèrent contre le courant, s’entêtant, illogiques et courageux, à maintenir le cap.
Marcel Martinet eut cet honneur.
Une récente actualité éditoriale nous offre, et c’est heureux, l’opportunité de nous arrêter un instant sur le parcours, à bien des égards exemplaire, de cet homme qui, contre vents et marées, resta fidèle, malgré l’époque, à une certaine idée de l’internationalisme et de l’autonomie ouvrière incarnés par le syndicalisme révolutionnaire.
Pour composer ce dossier, nous avons choisi de nous adresser à Charles Jacquier, fin connaisseur du sujet, directeur de la collection « Mémoires sociales » aux éditions Agone et responsable, dans la revue du même nom, de la rubrique « Histoire radicale ». Le texte qu’il a bien voulu nous adresser – Marcel Martinet ou l’orgueil de la fidélité – est la version écrite d’une présentation de l’auteur des Temps maudits et de Culture prolétarienne faite, en mai 2004, à la librairie marseillaise L’Odeur du temps, à l’occasion de la réédition, par Agone précisément, de ces deux ouvrages essentiels.
En seconde partie de dossier, on lira une étude de Marcel Martinet Le Chef contre l’homme, nécessité d’un nouvel individualisme, originellement publiée dans le numéro de janvier-février 1934 de la revue Esprit. Il est fort à parier que, par son originalité et sa finesse, cette analyse in vivo de la montée des fascismes, du culte des chefs et de la progressive domestication bureaucratique du mouvement ouvrier, intéressera nos lecteurs. Du moins l’espérons-nous.
Freddy Gomez pour À contretemps, n°19 - mars 2005
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Le Chef contre l’homme
Le texte de Marcel Martinet est court, il tient en 22 pages. Il est percutant, et bien sûr il est daté.
Il a été publié en janvier 1934, un an pile après la nomination d’Hitler comme Chancelier, 12 ans après l’arrivée au pouvoir de Mussolini, tandis que les dictatures d’Horthy et Pilsudski sont à leur apogée et au moment où commencent les « grandes purges » staliniennes. Pour autant il ne s’agit pas pour l’auteur de mettre sur le même plan le stalinisme et les dictatures européennes. Selon lui, tant que l’idéologie bolchevique reste marquée par « un internationalisme absolu », on ne peut « dire que rien ne distingue plus le bolchevisme du fascisme », soulignant ensuite qu’avec le dogme du « socialisme dans un seul pays » cette ligne de démarcation s’efface dangereusement.
Mais Marcel Martinet ne se limite pas à une synthèse de l’analyse des contextes politiques, économiques et sociaux qui ont nourri la montée en puissance des dictatures dans les années de l’entre-deux-guerres. ll pose de manière plus générale, la question du chef de sa relation avec les « masses » du rapport hiérarchique et de ce qui en fait l’essence. Pour mener les combats du prolétariat, ne faut-il pas des chefs ? Peut-être, répond-il, mais quels chefs ? Et il ajoute : « Est-ce impossible que les chefs ne soient que les meilleurs camarades, les plus dévoués et les plus fidèles, les plus désintéressés et les plus braves, les meilleurs techniciens dans leurs techniques, l’émanation directe de la base et constamment et fraternellement contrôlés par la masse ? », pour conclure : « La révolution prolétarienne n’a de sens que dans la disparition des classes, c’est-à-dire dans Ia destruction de toute hiérarchie matérielle ».
Ce sont ces questions qui font encore aujourd’hui I’actualité de la pensée de Marcel Martinet et que Philippe Geneste prolonge très judicieusement avec son essai Le refus de la hiérarchie. Illustrant son propos de multiples exemples actuels, il met en évidence les multiples rouages où l’école occupe une place centrale. Rouages parfois insidieux, qui conduisent à I’aliénation, à la soumission, à I’installation et à I’acceptation du rapport hiérarchique. On pourra retenir notamment le paragraphe « Du chef contre l’homme sous les oripeaux de l’émancipation », qui donne à réfléchir sur nos propres pratiques.
Mais Philippe Geneste n’est pas pessimiste : la victoire de I’homme contre Ie chef est possible. Pour cela il faut éradiquer toute forme de naturalisation du lien de subordination, individuellement et collectivement. Cela nécessite entre autres la mise en acte d’une coopération bien comprise, c’est-à-dire reposant sur la mise en place de rapports a-hiérarchiques.
Chronique de Raymond Jousmet parue dans L’Emancipation syndicale et pédagogique n°6 février 2023.
Lire l’article sur le site de L’Emancipation syndicale et pédagogique
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Plus de chef
Avant Martinet (Jean-Pierre), il y avait Martinet (Marcel).
Ils n’ont rien de commun, vraiment.
Poète et écrivain engagé contre toute oppression (stalinisme, fascisme, bureaucratisme, etc.) il a publié une grande variété d’écrits qui reparaissent de temps à autres chez des éditeurs eux-mêmes militants, amateurs de littérature prolétarienne ou syndicale. Pour ne pas les nommer Plein Chant, Agone ou, autrefois, Maspéro).
Dans le Sud, à Forcalquier, ce sont les éditions Quiero qui prennent la relève et rendent à la lecture un article publié dans Esprit en 1934, « Le Chef contre l’homme ». Ce projet, nous dit l’éditeur, « ne vient pas d’un goût du document ni d’un culte pour la dissidence, mais du constat de son actualité » et l’on voit bien ce qu’il veut nous dire :
C’est parce qu’il n’est pas un texte circonstanciel face à l’extrême droite que le lire aujourd’hui procède de quelque nécessité car il ne se limite pas à montrer les dangers du national-socialisme et du fascisme. Il demande aux individus un effort de lucidité afin de combattre les mécanismes qui en autorisent l’avènement, à commencer par ceux qui génèrent cette attitude de respect de la hiérarchie ancrée dans les normes mêmes de toute société inégalitaire.
Le Chef contre l’homme invite à mener une réflexion profonde sur les soubassements tant politiques, juridiques, économiques, sociologiques que psychologiques qui permettent à la société capitaliste de s’offrir aux pouvoirs autoritaires, dictatoriaux et fascistes.
L’éditeur scientifique du livre, Philippe Geneste, poursuit aujourd’hui la réflexion de Martinet en faisant l’analyse des mécanismes hiérarchiques et sécuritaires à l’œuvre à l’école et dans le monde social depuis les années 1980, et il pose les bases de ce qu’il appelle « Le Refus de la hiérarchie ».
Comme scandaient certains punks : « plus de chef, plus de flic, plus de curée, plus d’armée » (OTH, Hommes des cavernes modernes)...
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Sous une poussée obscure
Originellement publié dans la revue Esprit – n° 16, janvier 1934, pp. 541-558 –, le texte Le Chef contre l’homme fut réédité tel quel dans le n° 19, mars 2005 – pp. 10-18 – d’À contretemps, alors revue papier. Pièce centrale d’un dossier intitulé « Marcel Martinet (1887-1944) : une culture prolétarienne pour des temps maudits », elle était complétée d’une forte étude de Charles Jacquier : « Marcel Martinet ou l’orgueil de la fidélité ».
Pour des raisons étranges, mais qui semblent tenir à des hésitations de l’équipe rédactionnelle d’Esprit, revue fondée en 1934 par Emmanuel Mounier, intellectuel catholique promoteur du personnalisme, la partie du texte de Martinet directement liée à la critique du socialisme français (et plus précisément au glissement de quelques-unes de ses figures, dont Marcel Déat, « vers un fascisme de gauche »), s’est vu amputer du chapitre intitulé « La gangrène fasciste dans le socialisme politique en France ». Elle fut finalement réintégrée dans la livraison suivante d’Esprit – n° 17, février 1934, pp. 888-891 –, ce qui tombait pour le dire vulgairement comme un cheveu sur la soupe. On imagine que les débats furent vifs chez les personnalistes d’esprit de la revue du même nom. La version qu’on peut lire dans cette belle édition établie par les éditions Quiero est complète et authentique.
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Marcel Martinet, écrivain et poète, fut un homme de l’insoumission dont le premier acte de refus consista, en 1911, à s’abstenir de se présenter au concours de l’agrégation pour postuler à un simple poste de rédacteur à la mairie de Paris. Le reste est à l’avenant : entré au Parti socialiste unifié en 1913, il le quitte un an plus tard pour épouser, auprès des syndicalistes révolutionnaires du quai de Jemmapes, la cause de l’autonomie ouvrière pour l’émancipation, à laquelle il ne dérogera jamais. Quand la « Grande Boucherie » d’août 1914 suscite l’« Union sacrée », Martinet, non mobilisable du fait d’une induration des poumons, se déclare pacifiste opposant à la sale guerre. Fidèle à l’internationalisme prolétarien, il écrit pour le dire là où il peut, dans les petits journaux du refus, organes syndicalistes le plus souvent, et dans sa correspondance avec quelques amis – Romain Rolland, notamment, avec qui le désaccord viendra plus tard. En 1917 paraît à Genève Les Temps maudits, « chants d’espoirs désespérés », une suite de poèmes lyriques de douleur et de colère qui connaîtront, grâce à son réseau militant, un beau succès de diffusion clandestine en terre de France et demeure son livre le plus connu [1]. La guerre finie, sa trajectoire est la même que celle de ses camarades syndicalistes révolutionnaires ralliés pour très peu de temps au communisme à la faveur de la révolution russe. Durant trois ans (1921-1923), il s’occupe, avec des hauts et des bas, des pages littéraires de L’Humanité. En 1925, la rupture est consommée. L’autonomie prolétarienne reprend alors ses droits au rang de priorité. Elle s’exprimera, notamment, et avec constance, dans les colonnes de La Révolution prolétarienne qui regroupe un « noyau » – dont Pierre Monatte (1881-1960), Alfred Rosmer (1877-1964), Robert Louzon (1882-1976) seront, entre autres, les inspirateurs – et sera sous-titrée, cinq ans durant, « revue syndicaliste communiste » avant de devenir pour toujours « revue syndicaliste révolutionnaire » [2]. Martinet sera de l’aventure, qu’il voit comme une continuité logique de La Vie ouvrière des années d’avant-guerre.
Pour le reste, l’autonomie est, pour Martinet, autre chose qu’une nécessaire perspective de classe. Fragile, il en fait une manière de vivre obligée pour résister aux morsures de la maladie qui ne le lâchera plus : le diabète. Son front est celui de l’écriture, de l’expression, du combat intellectuel. Pour la « culture prolétarienne », pour le « refus de parvenir », pour arracher Victor Serge aux griffes de l’État stalinien, contre le colonialisme français en Indochine, contre les procès de Moscou, contre le sort réservé aux réfugiés espagnols de la grande défaite de 1939, sa plume est toujours là, disponible, ample, affutée, habile à dénoncer le mauvais sort qui accable les êtres qui résistent aux circonstances de l’oppression, d’où qu’elle vienne.
Mais il y a davantage chez Martinet, une particulière capacité à penser ce qui, de manière intangible et répétée, se joue sous une poussée obscure qui conduit aux temps maudits. Sur ce plan, Le Chef contre l’homme est très révélateur de sa manière, lucide, de chercher à comprendre pourquoi et comment l’Histoire est une machine à recycler l’infamie. Ce dont il est question ici, c’est, au-delà d’un contexte – celui de février 1934 et de la montée en puissance du fascisme à la française – le dispositif de mécanismes qui conduisent, de conjonction en conjoncture, à la massification du ressentiment. Et plus encore à légitimer les ressorts de son expression primaire. Penser cela n’est pas une mince affaire, nous en savons quelque chose, mais le penser sans perdre ses nerfs relève de la performance. Et c’est, pour moi, ce qui fait la force évocatrice de ce texte qui débute par une phrase de Clara Zetkin prononcée en 1923 : « Nous ne devons pas oublier que le fascisme est le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence. » Et Martinet de préciser : « Ces hommes sont des hommes désespérés, descendus au dernier stade du désespoir ; des hommes qui n’ont jamais eu d’idéologie ou qui ont été déçus par les idéologies auxquelles ils se sont arrêtés un instant et qui les ont rejetées ; des hommes qui ont perdu […] toutes raisons de vivre […]. Et cependant ces hommes parce qu’ils sont des hommes, ces hommes vaincus voudraient encore continuer à subsister, à espérer même. »
Tributaire des catégories marxistes de son temps – insuffisamment éclairantes sur le fascisme, on le sait aujourd’hui –, l’analyse de Martinet les restitue mais corrigées de quelques à-peu-près interprétatifs. Ainsi la théorie selon laquelle le fascisme relèverait d’un processus d’unification, sur la base du ressenti de « leur misère, présente ou prochaine », d’une petite bourgeoisie et d’un lumpenprolétariat « momentanément parqués dans le même enclos et collés l’un à l’autre » par « une furieuse joie de vengeance (qui leur paraît la justice même) », s’accompagne, sous sa plume, d’une constante mise en perspective du substrat psychologique – fondamentalement autoritaire – de cette quête mortifère d’un « chef ». Au point qu’on puisse établir des parallèles fascinants entre les intuitions de Martinet et les analyses d’Erich Fromm et du Wilhelm Reich de la Psychologie de masse du fascisme [3], produites à la même époque (années 1930), mais dont on doute que l’auteur du Chef contre l’homme ait eu connaissance.
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On ne saurait dire, comme le prétend Philippe Geneste en seconde partie d’ouvrage – « Le refus de la hiérarchie » –, qu’il existerait « une actualité de ce texte », autrement dit que l’analyse de Marcel Martinet ferait écho, par ricochet, à notre lourd présent. On serait plutôt partisan de le prendre pour ce qu’il est : une fine contribution à la compréhension du sien, ce qui, avouons-le, n’est déjà pas si mal en regard de la pauvreté du nôtre en matière d’analyse critique. Bien sûr, Geneste prend le soin de préciser qu’il ne corrèle pas davantage deux situations socio-historiques aussi différentes que le fascisme « en chemise brune et noire » de l’époque de Martinet et celui « pris dans un sens élargi » qui couverait sous la cendre de nos contemporaines défaites.
Reste que sa contribution laisse apparaître des « indices de fascisation du régime politique » que nous subissons et que les preuves qu’ils nous en donnent – « réduction des libertés », « mesures d’exception pérennisées », « lois répressives accumulées », violences policières massives contre ceux qui s’y opposent – attestent, de facto, d’une incontestable dérive autoritaire du « macronisme », qui demeurera modélique de cette inflexion illibérale institutionnelle du déjà dévastateur en soi néo-libéralisme économique. Autrement dit, cette chiourme du profit pour le profit maximal aura confirmé qu’on n’est jamais Chicago Boy innocemment, ce qu’on savait d’ailleurs depuis Pinochet. Son seul apport à l’histoire réside là, et c’est précisément en cela que le jupitérien projet de la Macronie conduisit à éborgner celles et ceux qui, d’en bas, de très bas, sans autre force que celle que leur donna la coalition de leurs misères colériques, éclairèrent le vrai visage du janusien Jupiter : son mensonge est la vérité même.
Comme l’atteste Geneste, l’obéissance au système est une « prescription » qui finit par devenir « obligation intérieure ». C’est même là sa principale force, pourrait-on ajouter : organiser la soumission par consensus. Ce qui remonte pourtant – et à l’évidence – de nos révoltes contemporaines, qui ne sont plus strictement de classe, c’est le dissensus exprimé par une série de soulèvements fondés sur des résistances têtues et variées à l’ordre mortifère d’un néo-libéralisme autoritaire en crise structurelle prolongée. L’actuel mouvement de refus de la contre-réforme des retraites apparaît ainsi, selon les angles d’observation choisis, révélatrice d’un double mouvement : d’un côté, il est pris en main par une chefferie de bureaucrates aux profils divers, mais unis dans une même stratégie de contrôle ; de l’autre, il rêve, sur ses marges les plus actives, de la destituer par dépassement. « Le chef, note opportunément Geneste, résulte des actions contraintes et du cadre contraignant des actions. Mais, produit d’une mise en relation, il est aussi destituable par une autre forme de mise en relation des êtres sociaux jusque-là soumis. D’où la lutte possible pour s’en libérer, mais possible à condition de ne pas omettre la cible première qui est l’éradication du hiérarchisme : passer du chef contre l’homme à la réalisation de l’homme libéré du chef, libéré des chefs. » Au fond, deux exemples récents illustrent parfaitement cette démarche d’auto-émancipation : d’un côté, l’apparition, puis la structuration des « cortèges de tête » qui, devançant les défilés traîne-savates, leur impriment – avec plus ou moins d’intelligence stratégique, c’est vrai ! – une dynamique de combat ; de l’autre, le soulèvement des Gilets jaunes qui, en remettant l’ardeur au combat au premier plan de leurs subjectivités et en refusant obstinément de se soumettre à tout représentant auto-désigné, ont durablement changé, y compris dans les bases syndicales, la perception tactique de l’affrontement à venir avec l’État et les patrons.
Dans cette configuration où tout laisse à penser que la crise du capitalisme à son stade néo-libéral autoritaire avancé n’est sûrement pas provisoire et qu’elle prendra, comme on le constate déjà, de multiples formes, le « fascisme pris dans un sens élargi » pourrait lui apparaître comme une porte de sortie ouvrant sur le néant, mais lui garantissant ses droits de préemption.
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Ce beau travail d’édition se clôt sur deux poèmes et une minutieuse biographie de Marcel Martinet – élaborée par Philippe Geneste – dont nous retenons cette phrase de l’auteur de L’Homme contre le chef, écrite en 1939 : « Les politiciens putassiers qui font de l’antifascisme à base de mépris de l’homme sont des ombres grotesques des fascistes. Mais contre les uns et contre les autres, il faudra bien qu’on refasse une humanité. »
Nous en sommes toujours là. Et il y a urgence.
Freddy Gomez
Lire l’article sur le blog de la revue À contretemps
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Le chef contre l’homme
Marcel Martinet est un militant révolutionnaire qui refusa l’Union sacrée en 1914. Écrivain et poète d’importance dans le courant dit de « littérature prolétarienne », auteur des Temps maudits, écrit pendant la guerre de 14-18, il fut un soutien enthousiaste de la révolution russe et s’occupa de la section littéraire de L’Humanité avant de rompre, comme ses camarades de La Révolution prolétarienne, avec le parti communiste. Il n’aura de cesse ensuite de dénoncer à la fois le stalinisme et le fascisme : « Les politiciens putassiers qui font de l’antifascisme à base de mépris de l’homme sont des ombres grotesques du fascisme » écrit-il estimant que l’échec de la grève générale de novembre 1938 venait d’ancrer le fascisme au tréfond de la société française.
Et c’est du fascisme dont il est question dans « Le Chef contre l’homme », un essai publié en 1934 dans la revue Esprit [et repris ici en volume].
S’appuyant sur ce que disait Clara Zetkin en 1923, « le fascisme est le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence », il montre que cette doctrine s’appuie sur des hommes qui ont renoncé à se sauver eux-mêmes et se soumettent à un chef qui pense pour eux en se donnant l’illusion qu’à travers lui c’est une parcelle de son pouvoir qu’ils partagent. Notons que c’est à la même époque que Wilhelm Reich dans la psychologie de masse du fascisme montrait que, comme toute forme de mysticisme organisé, il s’agissait-là d’un désir organique insatisfait des masses, Mais Martinet n’en rejette pas pour autant les explications socio-économiques : tandis que le socialisme voit dans l’État un instrument de la domination de classe qui doit perdre ses bases et donc disparaître avec la suppression des classes, le fascisme prétend au contraire étatiser le plus possible les facteurs de la vie sociale, réaliser l’État « total ».
À la suite du Chef contre l’homme, Philippe Geneste actualise le propos de Martinet, dont il est un parfait connaisseur en montrant à quel point les mécanismes hiérarchiques continuent d’entraver les femmes et les hommes. Et que le refus de cette hiérarchie est une arme essentielle pour toute lutte contre le capitalisme et sa variante, Ie fascisme. L’autonomie, toujours l’autonomie, individuelle et collective, est la clé de la lutte contre toute forme de reproduction de la domination.
Marcel Martinet, qui illustre à merveille le « refus de réussir » en refusant de passer l’agrégation pour s’embaucher comme simple rédacteur, a beaucoup écrit : essais, roman, théâtre, poésie.
- Culture prolétarienne Agone, 2004.
- Les Temps maudits, Agone, 2003.
- Où va la révolution russe ? l’affaire Victor Serge, Plein chant, 1978.
- Hommes, Plein chant, 1975.
- Contribution à une critique prolétarienne de l’éducation : Contre l’école du tri social, volume 3, le scorpion brun, 2018.
- Contribution à une critique prolétarienne de l’éducation : Genèse de I’éducation hiérarchique, volume 2, CNEDS université Savoie Mont Blanc, 2017.
- Le travail de l’école : contribution à une critique prolétarienne de l’éducation, volume 1, Acratie 2009.
- Politique, langue et enseignement, Ivan Davy, 1998.
- Visages de la littérature prolétarienne, Acratie, 1992.
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Plus de chef, plus de 49, plus de 3
À l’occasion du 49.3 d’anthologie qui vient de nous être servi par un duo de génies politiques du premier quart du XXIe siècle (Brindezingue et Paltoquet), un petit rappel du texte de Marcel Martinet récemment réédité par Philippe Geneste et Samuel Autexier à l’enseigne de Quiero (livres d’art et d’essai). Avec une citation, ce qui est toujours mieux qu’un long discours :
PRODUCTEURS, SAUVONS-NOUS NOUS-MÊMES
Puissent les prolétaires ne pas seulement répéter ces paroles du bout des lèvres, mais en imprégner toute leur pensée et toute leur action ! C’est la formulation même de l’antifascisme. Le but et la méthode de la révolution prolétarienne ne sont rien et ne peuvent rien s’ils ne sont le respect de l’homme, dont ils réclament qu’il ne se démette jamais de soi, de son vouloir et de ses responsabilités. Le fascisme, qui exige la démission préalable et permanente de l’individu, c’est le mépris de l’homme.
(...) Nous avons vu ce que représente la soumission irraisonnée et aveugle au chef, l’abdication devant le chef. Nous avons vu ce que, dans le fascisme, elle fait de l’homme de la masse, ce qu’elle fait du chef lui-même. Si des hommes adoptent la notion fasciste du chef et la conception de la vie qu’une telle notion comporte, rien à dire contre, sinon que ces hommes nous semblent renoncer à tout ce que nous considérons comme la dignité de l’homme ; mais ils suivent leur logique
Marcel Martinet Le Chef contre l’homme suivi de Le Refus de la hiérarchie par Philippe Geneste. - Forcalquier, Quiero, 2023, 80 pages, 18 €
Lire le billet sur l’Alamblog du Préfet maritime
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Le chef contre l’homme
Auteur de Culture prolétarienne (1935) et de Les Temps maudits (1920), proche de La Vie ouvrière d’avant 1914, puis de La Révolution prolétarienne à partir de 1925, Marcel Martinet (1887-1944) a fait du « refus de parvenir » théorisé par Albert Thierry (1881-1915) le principe directeur de son existence. En compagnie de Fernand Pelloutier, d’Emile Pouget, de Pierre Monatte et de quelques autres, ils devraient constituer des figures de référence pour le mouvement syndical français qui y a puisé le meilleur de ses principes et de son action malgré l’oubli où ils sont tombés. Malheureusement, le souvenir de Marcel Martinet est, depuis fort longtemps, laissé à l’initiative de rares éditeurs indépendants, voire marginaux, et de quelques personnes intéressées par son œuvre. Ainsi Culture prolétarienne a d’abord été publiée par la Librairie du travail de Marcel Hasfeld, avant que le titre soit réédité dans les années 1970 dans la petite collection Maspero, puis par Agone dans les années 2000.
Il faut donc se féliciter de voir cet article de Martinet paru dans Esprit en 1934 repris en volume dans une belle édition complétée par un utile texte inédit de Philippe Geneste qui prolonge et actualise la réflexion et une biographie de Martinet par ce dernier.
Peu après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933, après sa nomination comme chancelier par le dernier président de la république de Weimar, le maréchal Hindenburg, Martinet s’interroge sur ce qui fait le succès du fascisme en Europe après une décennie de pouvoir de Mussolini en Italie. S’appuyant sur des études publiées par des émigrés antinazis dans La Révolution prolétarienne et dans la revue Masses, il s’interroge sur la difficulté de l’analyse qu’il va tenter du fait que « les hommes qui fabriqueront le mythe du dictateur seront bientôt, sont déjà en même temps et seront de plus en plus façonnés eux-mêmes par la dictature ». La force du dictateur vient des attentes désespérées de ceux qui, lumpenprolétariat et petite-bourgeoisie, craignent par-dessus tout la misère, présente ou future, et ne s’y sont pas résignés. Les promesses du dictateur leur laissent espérer une issue favorable : « C’est le sauveur qu’ils appellent, écrit Martinet, et ils ne se vouent au chef que parce qu’ils n’attendent plus que de lui le salut. »
À ce processus mortifère qui s’auto-alimente faute d’alternative, Martinet oppose les principes du mouvement ouvrier des origines, de l’Association internationale des travailleurs au syndicalisme d’action directe des débuts du XXe siècle en reprenant le vieux slogan, « producteurs, sauvons-nous nous-mêmes… » Cette formule est, selon lui, « la formulation même de l’antifascisme » et il met face à face la révolution prolétarienne qui est « le respect de l’homme […], de son vouloir et de ses responsabilités » et le fascisme qui est « la démission préalable et permanente de l’individu, […] le mépris de l’homme ». In fine, le dictateur est « le degré suprême » de la hiérarchie sur laquelle il s’appuie et son idéologie ne fait que traduire et justifier celle-ci. Mais Martinet est trop lucide pour ignorer que les principes et les valeurs du mouvement ouvrier des origines dont il se réclame et qui auraient pu constituer le meilleur antidote au fascisme ont été dénaturés. Et il met en garde le lecteur aussi bien contre les infiltrations fascistes dans le socialisme politique français (Marquet, Montagnon, Déat) que contre l’URSS stalinienne.
À ce sujet, il ne craint pas d’écrire : « plus le bolchevisme est amené à restreindre ses perspectives à la mesure de l’État russe, plus il tend, de ce fait même, à abandonner ses perspectives ouvrières – de libération du prolétaire, de libération de l’homme – et à ne plus se distinguer du fascisme ». Hétérodoxe, cette remarque reste pourtant dans le cadre du bolchevisme comme mouvement révolutionnaire dévoyé alors que la terreur instaurée par Lénine, l’extermination du mouvement makhnoviste et celle de l’insurrection de Kronstadt auraient dû éclairer Martinet sur sa nature véritable. C’est la principale limite que l’on peut adresser à ce beau texte qui n’en a pas moins le mérite d’avoir posé dès le début des années 1930 le problème de la comparaison entre les deux principales idéologies totalitaires de son temps et la place qu’y tient la figure du chef.
Charles Jacquier
Marcel Martinet, Le chef contre l’homme (suivi de Le refus de la hiérarchie par Philippe Geneste), Forcalquier, Quiero Éditions, 2023, 80 p.
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Le chef contre l’homme - Le refus de la hiérarchie
Les éditions Quiero [4] publient un essai de Marcel Martinet [5] paru initialement dans le numéro 16, daté du 1er janvier 1934, et le numéro 17 de février 1934 pour la seconde partie, de la revue Esprit [6], intitulé « Le chef contre l’homme ». Ce texte est ici suivi d’une analyse de Philippe Geneste, Le Refus de la hiérarchie, et d’une biographie de Marcel Martinet.
En premier lieu nous ne pouvons que nous réjouir de la mise à disposition des lecteurs d’un écrit de Marcel Martinet, poète, écrivain, militant, qui travailla comme rédacteur à la mairie de Paris après avoir exprimé son refus de parvenir en ne se présentant pas à un concours de l’agrégation qui en eut fait un professeur d’université. Martinet est en effet une figure représentative de l’engagement durant la première partie du XXème siècle, plus précisément d’un courant minoritaire au sein du mouvement ouvrier.
Avant la déclaration de la guerre de 1914, outre son activité littéraire, il fréquente le groupe de syndicalistes révolutionnaires qui réalisent La Vie Ouvrière [7]. Lors du déclenchement du premier conflit mondial il est au côté de la minorité syndicaliste et politique qui demeure fidèle à l’internationalisme et refuse de sombrer dans l’Union Sacrée dans laquelle s’enliseront les directions politiques ou syndicales. Dès 1925, après quelques années au Parti Communiste [8], il se retrouve dans la démarche des oppositionnels au stalinisme, en particulier des syndicalistes qui créent La Révolution prolétarienne [9]. Outre ce parcours militant Martinet écrit de la poésie, une pièce de théâtre et publie, en 1935 l’ouvrage Culture Prolétarienne [10] aux éditions de La Librairie du Travail [11] qui comprend des textes rédigés au fil du temps et consacrés à cette thématique.
Le Chef contre l’homme est donc publié en janvier 1934, quelques semaines avant la manifestation antiparlementaire du 6 février 1934 [12] qui a comme objectif de renverser la République. L’année précédente Hitler a légalement accédé au pouvoir tandis qu’en Italie, depuis plus de dix ans règne le fascisme de Mussolini. C’est dans ce contexte que Martinet prend la plume afin de tenter de cerner les conditions de l’accession au pouvoir des mouvements fascistes.
Se référant à une citation de Clara Zetkin [13] il voit dans la base sociale de ce courant politique une alliance objective entre les déclassés, le lumpenprolétariat, et la petite bourgeoisie en voie de prolétarisation, de perte de ses privilèges. Clara Zetkin voit dans le fascisme « le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence ». Sur cette base Marcel Martinet propose un antidote à l’architecture fasciste qui culmine dans le culte du chef : il s’agit d’œuvrer à l’émergence d’une démarche ayant comme objectif la réappropriation de l’autonomie, seule réponse susceptible de s’opposer à la délégation des prérogatives individuelles accordée à des chefs, à une instance supérieure.
Ainsi le fascisme « ne peut s’établir que sur une préalable abdication volontaire et enthousiaste de l’individu », l’enjeu du combat est donc le retour à une activité autonome du prolétariat, socle de l’antifascisme.
Ce document ouvre des pistes de réflexions même si l’on peut considérer que plusieurs éléments ne sont pas ici abordés, ou même simplement esquissés : la fonction tenue par l’appareil de propagande nazie pour aliéner le peuple, l’utilisation d’un discours antisémite comme creuset apte à forger une identité nationaliste, aryenne, chauvine, la violence physique des milices pour museler les oppositions, la paralysie des forces de gauche divisées, les conséquences du Traité de Versailles qui met l’Allemagne sous perfusion et le peuple dans la misère. Il est cependant probable qu’une partie de ces faits n’était pas toujours accessibles en 1933. Les reportages de Daniel Guérin sur l’Allemagne, La Peste Brune, et Fascisme et Grand Capital ne seront publiés qu’en 1936. La synthèse de ces éléments et la description par Marcel Martinet de l’abandon par l’individu de son libre arbitre au profit du culte du chef ne sauraient être que complémentaires.
Le refus de la hiérarchie de Philippe Geneste.
L’essai de Marcel Martinet ne saurait être perçu comme l’unique clef pour appréhender les questions qui se posent aujourd’hui en France quant à l’évolution de la situation politique, même si certains aspects évoqués, telle l’attente constante de la venue du Sauveur Suprême, demeurent pérennes. Le refus de la hiérarchie a comme ambition d’appréhender les pratiques autoritaires des temps présents et l’auteur suggère un fascisme possible, « pris dans un sens élargi ». Il détecte donc des « indices de la fascisation du régime politique, on peut en lire dans des atteintes aux apparences de la « démocratie parlementaire » : réduction des libertés, mesures d’exception pérennisées ». Philippe Geneste considère que « Cette alliance du répressif militaro-policier avec le répressif sanitaire n’est pas sans rappeler le goût de l’ordre des défilés, et le discours hiérarchiste, hygiéniste et raciste du fascisme et du nazisme ». Je ne partage pas ce raccourci historique qui élude, selon moi, le caractère dictatorial, par nature, de la démocratie parlementaire, mais l’essentiel de ce texte n’est sans doute pas dans cette analyse qui a le mérite de susciter le débat.
L’intérêt du Refus de la hiérarchie réside dans la précision chirurgicale qui est mise en place pour disséquer les mécanismes de soumission et de développement de l’autoritarisme, et c’est à ce niveau que se prolonge la réflexion de Marcel Martinet. Ce mécanisme de domination est, selon l’auteur, « le produit direct de la socialisation autoritaire dont l’éducation est le vecteur essentiel ». Sont alors abordés les processus d’aliénation qui conduisent des individus à renoncer à leur liberté de penser pour déléguer cette capacité à une entité supposée supérieure, hiérarchique qui s’en approprie alors les attributs. Philippe Geneste porte également le scalpel sur les caractéristiques de l’autoritarisme qui s’insinue également dans les groupes politiques radicaux, associatifs, syndicaux, y instaurant un pouvoir insidieux, au-delà des proclamations statutaires ou principielles. La parole confisquée, l’urgence de l’action comme nécessité immédiate, justifiant les entorses à la règle, sacralisant la délégation pour la prise de décision, telles sont les manifestations ordinaires de l’autoritarisme rampant. Ce constat est en creux un appel à la vigilance, à la critique et à l’autocritique, afin qu’une assemblée générale estampillée espace de démocratie ne devienne un lieu rituel, une caricature de l’autonomie collective. D’autres pistes, dans le même souci égalitaire, seraient à explorer sur le fonctionnement au sein des collectifs : comment abolir les barrières entre les intellectuels et les manuels, sachant que cette abolition, chez Marx, est donnée comme constitutive du communisme à venir ? Comment décloisonner les tâches entre ceux et celles qui théorisent et ceux et celles qui manient le balai, préparent les repas, nettoient les fientes des pigeons, fonctionnement qui reproduit la hiérarchie présente dans le monde de l’entreprise capitaliste ?
Le refus de la hiérarchie est un texte qui invite au débat, à la réflexion, il oppose à ces normes autoritaristes une alternative, la coopération, rejoignant en cela la vision de Kropotkine [14] qui entendait, dès 1902, substituer à la compétition pensée comme moteur de l’évolution, l’Entraide comme base de la société à construire.
Une biographie de Marcel Martinet, établie par Philippe Geneste, parachève cette approche de l’auteur des Temps Maudits.
Raphaël Romnée
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Le Chef contre l’homme
« Nous ne devons pas oublier, écrivait Clara Zetkin en 1923, que le fascisme est le mouvement des éléments sociaux déçus et privés de moyens d’existence. » Les éléments qu’a observé Marcel Martinet « dans les pays où il semble exercer une domination d’une ampleur et d’une précision inouïe » confirme cette définition. Il se propose d’examiner les conditions historiques de son établissement et de son maintien, et rédige, fin 1933, cette analyse des mécanismes du fascisme qu’il invite à combattre, à commencer en cessant de respecter la hiérarchie, profondément ancrée dans les normes de toute société inégalitaire.
« Le mouvement fasciste est une révolte organisée de la petite bourgeoisie contre les conséquences du capitalisme. » écrivait « un allemand » dans Révolution prolétarienne, en août 1923. Ce que précisait un responsable du Parti socialiste d’Allemagne (SAP), dans la revue Masses, en 1933 : « Le fascisme est la marque même du déclin du capitalisme. Le capitalisme est devenu incapable d’assurer des possibilités de vie suffisantes aux masses. Les masses se mettent alors en mouvement : l’appareil politique de la démocratie s’effrite. Si le prolétariat échoue, le mouvement fasciste remporte la victoire. Ce mouvement de déclassés devient le glaive du capital financier. » Désespérée la masse du lumpenprolétariat, « renforcée par la masse de la petite bourgeoisie non encore prolétarisée mais possédée par l’effroi de la prolétarisation qui se rapproche », est prête à suivre n’importe quel sauveur. « Plus besoin de penser : le chef pense pour eux. […] Quant à l’action, leurs poings n’ont pas une docilité moins empressée, moins affamée d’une furieuse joie de vengeance (qui leur paraît la justice même), à démolir les ennemis du chef, qui sont leurs propres ennemis. » Cette religion de l’action, de l’action pour l’action, sans analyse ni soucis du contenu, qui conduit tout droit à la violence sans frein, est l’opposé de la violence révolutionnaire. « On prête à cette abdication totale de l’individu la dignité d’un consentement libre et réfléchi à une hiérarchie spirituelle. » « Le fascisme, qui exige la démission préalable et permanente de l’individu, c’est le mépris de l’homme. » Fondé sur l’absence de doctrine, il doit cependant se mettre en quête d’une, car il faut un contenu à la « foi » des hommes, et pour justifier idéologiquement le système, il invente, a posteriori et au jour le jour, une « philosophie hiérarchique ». En clair, « les régimes fascistes ne sont pas seulement le règne de la police, ils sont tout autant le règne de la fiction. Et le chef, détaché des siens, déclassé, le chef domine sur la fiction. »
Marcel Martinet prévient également que si l’idéologie bolcheviste continue « à restreindre ses perspectives à la mesure de l’État russe », à abandonner l’internationalisme, il tendra à ne plus se distinguer du fascisme. Il suit aussi « l’infiltration des tendances fascistes dans les mouvements politiques qu’on qualifie encore de mouvements de gauche », abdication qui renouvelle la faillite, en 1914, des partis socialistes devant la guerre, « intoxiqués par l’habitude des combinaisons politiques, de celles du “moindre mal“ ». En réponse, il préconise la suppression de toute hiérarchie matérielle, la disparition des classes.
Philippe Geneste propose une analyse de cette analyse, explication de texte s’appliquant à souligner l’actualité du propos de Marcel Martinet, alors que nous vivons l’accentuation de l’État sécuritaire, le travestissement de la violence d’État en dialogue républicain, la socialisation autoritaire par l’enseignement, l’imposition de la répression et de la soumission appuyée par l’octroi permanent de pouvoirs spéciaux : « Le refus de la hiérarchie nous semble l’action individuelle autant que collective susceptible de sortir de toute cette impuissance et un outil de lutte contre le capitalisme dans toutes ses variantes dont celle du fascisme. » Il met en garde contre « le mantra de la démocratie [qui] crée l’hallucination de la liberté quand une simple écoute désintoxiquée de ces discours suffit à voir la réalité autoritaire » et dénonce aussi les « hiérarchies masquées », « les hiérarchies non formalisées », comme on peut en trouver dans certaines AG. Une brève biographie de Marcel Martinet suit.
Concis mais dense.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
Lire sur le blog de la Bibliothèque Fahrenheit
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